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Lettre ouverte à l’Arcom

18 May 2022 21:31 | Anonymous

Lettre ouverte à l’Arcom  // PDF // PDF ENGLISH

À l’attention de :

Roch-Olivier Maistre, président

Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom)

Tour Mirabeau

39-43, quai André-Citroën

75739 Paris cedex 15



Berlin, le 14/03/2022


Objet : Lettre ouverte à l’Arcom



Monsieur,


En tant que coalition de travailleurs du sexe et de producteurs de contenus pour adultes, nous nous sommes engagés à contribuer à la sécurité et à la protection des mineurs, et au respect de leurs droits. Alors que les contenus pour adultes sont réalisés par et pour des adultes consentants, et nous soutenons tout à fait les efforts visant à empêcher les mineurs d’y accéder, nous considérons que les réglementations et attaques actuelles contre notre industrie constituent une menace pour nos libertés sans pour autant s'attaquer à la source réelle du problème, tout en échouant à proposer des solutions pratiques.


Depuis l’an dernier, le CSA et maintenant l’Arcom cherchent à bloquer l’accès aux sites pour adultes ainsi que la liberté d’expression sexuelle protégée, prétendument pour des questions de vérification d’âge. En l’absence d’accord sur les méthodes de vérification de l’âge, les grosses plateformes ont été menacées de blocage à l’échelle nationale, de poursuites pénales et d’amendes. Et pendant que l’Arcom s’attèle à empêcher les Français d’accéder à ces sites, nous attendons toujours l’annonce de normes officielles. Sans cela, aucun site n’est en mesure d’offrir des garanties de conformité.


Plusieurs méthodes ont été vantées, dans ce pays et d’autres, dont la reconnaissance faciale et le scan des pièces d’identité. Si celles-ci peuvent sembler acceptables pour les personnes maîtrisant les bases de la technologie ou l’industrie pour adultes en général, dans la pratique en revanche, elles s’avèrent difficiles à mettre en œuvre et financièrement non viables, du fait de l’opposition massive des consommateurs.


Vous avez probablement entendu les défenseurs de ces technologies et les sociétés de vérification d’âge elles-mêmes faire l’apologie de leur simplicité et de leur efficacité. En tant qu'association professionnelle réunissant des créateurs, des travailleurs et des entreprises de l’industrie pour adultes en Europe, nous serions ravis si ces allégations étaient exactes. Si tel était le cas, les sociétés pour adultes n’auraient aucun problème à se mettre en règle. L’industrie pour adultes ne cherche pas à toucher les mineurs. Nombre d’entre nous sommes parents aussi et au-delà des considérations morales et éthiques, nous n’avons aucun intérêt, financier ou autre, à permettre aux mineurs d’accéder à des contenus pour adultes.


Toutefois, les méthodes de vérification actuellement disponibles sont complexes, contraignantes et coûteuses. Le coût des services proposant la vérification peut aller jusqu’à 3 € par utilisateur. Pour les sites attirant plusieurs millions de visiteurs par jour, cela représente un coût si exorbitant qu’il en devient non viable. Pour les petits sites indépendants, en particulier, qui opèrent déjà avec des marges étroites, ces mesures sont impraticables au point de leur interdire toute possibilité de s’exprimer.


Les consommateurs, dans une très large mesure, rechignent à se soumettre à la procédure. Un rapport récent publié par le service de vérification d’âge VerifyMyAge a révélé que 55 % des consommateurs n’utiliseraient pas un site dont le protocole de vérification d’âge ne leur plaît pas. Ceux qui ont tenté de mettre en place la vérification sous sa forme actuelle abondent dans ce sens. Même si ces services affirment ne conserver aucune donnée personnelle et éliminer les informations relatives à l’accès à des sites sensibles, de nombreux consommateurs sont réticents à se plier à un tel dispositif. Lorsque les protocoles sont mis en place, les ventes réalisées par les plateformes auprès des consommateurs ayant l’âge légal subissent une baisse moyenne de 30 %.


Même pour les consommateurs qui acceptent de se soumettre à la procédure, la technologie elle-même est loin d’être parfaite. Les consommateurs peuvent la trouver compliquée à utiliser et de nombreuses tentatives sont parfois nécessaires pour finaliser la vérification. Nous le savons parce que les travailleurs du sexe et autres créateurs de contenus pour adultes utilisent déjà ces technologies pour faire vérifier leur âge et leur identité avant d’envoyer du contenu. Cette procédure s’avère souvent lente et fastidieuse, mais en tant que créateurs, nous acceptons de nous y soumettre afin de générer des revenus. Pour les consommateurs, en revanche, l’expérience crée une forte incitation à aller voir ailleurs.


Lorsque les consommateurs abandonnent la procédure de vérification, ils ne renoncent pas pour autant à la recherche de contenus pour adultes, mais se tournent simplement vers l’une des millions de plateformes non affectées par ces mesures - des médiaux sociaux aux sites illégaux - ou recourent à un VPN pour échapper aux restrictions françaises. Si l’objectif de la commission est d’empêcher l'accès au moyen de la vérification obligatoire, elle devra prendre en compte cette réalité. Sauf si le gouvernement envisage de mettre en place des points de contrôle de l'âge et de l'identité pour de larges secteurs de l'Internet, ces mesures sont vouées à l'échec.


Si son objectif est d’empêcher les mineurs d’accéder à des contenus pour adultes, l’Arcom doit revoir la législation de façon à prendre en compte la réalité de l’Internet en 2022. Le projet en son état actuel n’a aucun sens, que ce soit sur le plan politique ou sur le plan technologique. En tant que créateurs, performers et studios, nous sommes amenés à vous demander pour quelle raison l’Arcom cherche à écraser la concurrence, à une époque où tout le monde a le droit de s’exprimer. Pourquoi cherche-t-elle à pousser les citoyens français vers des sites pirates non régulés et moins responsables ? Pourquoi n’a-t-elle pas cherché à travailler avec nous pour atteindre ses objectifs, au lieu de nous tenir à l’écart ?


Heureusement, des solutions existent : les filtres au niveau des appareils. Ceux-ci, souvent fournis gratuitement sur les ordinateurs portables et les téléphones, bloquent l’accès aux contenus pour adultes, et ce, même en présence d’un VPN. Les sites pour adultes, dans le cadre des mesures visant à écarter les mineurs tout en protégeant l’accès pour les adultes consentants, sont listés systématiquement par ces filtres. En plus d’être plus efficaces, ils ne nécessitent ni censure ni surveillance de la part des gouvernements. Il serait bien plus efficace de lancer une campagne à destination des parents et des éducateurs pour faire connaître ces filtres, ou de subventionner des filtres pour les appareils qui n’en sont pas déjà équipés. De telles mesures seraient accueillies de façon tout à fait favorable par l’industrie pour adultes, notre secteur d’activité étant particulièrement bien placé pour connaître le fléau des contenus piratés.


Aussi paradoxal que cela puisse paraître, les travailleurs du sexe et l'industrie pour adultes sont vos partenaires de choix dans ce combat. Depuis longtemps déjà, nous avons pris l’engagement de tenir les mineurs à l’écart de nos sites et le jour où l’évolution de la technologie nous permettra de vérifier chaque visiteur sans bloquer les personnes majeures, nous serons heureux de nous mettre en règle. Vous et nous partageons le même objectif, mais les décrets réglementaires et les batailles juridiques sont un mauvais moyen de trouver un accord, tout en échouant à protéger la jeunesse française.

La stratégie réglementaire actuelle doit être modifiée pour éviter de décimer les entreprises éthiques et légales. Nous vous demandons de bien vouloir revoir votre stratégie et de travailler avec nous directement afin d’en comprendre les effets réels, non seulement sur les grosses sociétés, mais aussi sur les créateurs indépendants et les communautés marginalisées. Si l’Arcom est sérieuse, et ne cherche pas uniquement à censurer l’expression de la sexualité, nous vous invitons à vous concerter avec Free Speech Coalition Europe, ainsi que les communautés les plus affectées par cette politique rétrograde.


Nous demandons à l’Arcom de rencontrer FSC Europe, les organisations de défense des droits des travailleurs du sexe et d’autres communautés concernées afin d’acquérir une meilleure compréhension des effets profondément néfastes des règlementations actuelles qui légitiment la censure et la discrimination.


Cordialement,


Free Speech Coalition Europe 

(Coalition Européenne pour la Liberté d’Expression)



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